par Manuela de Barros.
Maître de conférences. Université Paris 8 – Arts et philosophie.
Natural / Digital. Exposition collective. Commissariat d’exposition numeriscausa. Biche de Bere Gallery. Paris
Les fleurs, et plus généralement les plantes et par extension la nature, sont dans l’esprit de beaucoup le dernier carré de la présence du naturel dans un monde largement considéré comme artificiel. Leur multiplicité, leurs variations infinies en formes et en couleurs, leurs odeurs, leur symbolique, leur aspect éphémère et saisonnier, leur vie calme et tranquille, proche d’un idéal de contemplation aussi, tout cela semble les rapprocher d’une nature plus idéalisée à mesure qu’elle devient distante.
C’est bien sûr oublier que ces merveilles « naturelles » sont issues de croisements et de manipulations, que les paysages « naturels » sont des constructions culturelles et que la nature dans son ensemble, telle que l’on peut la voir presque partout, est le résultat de choix et de modifications, sur un temps long et selon les nécessités – contrairement à certaines manipulations génétiques actuelles.
Néanmoins, de ce point de vue, créer des plantes avec des outils numériques, c’est former le paradoxe de la confrontation du naturel et de l’artificiel, et cela avec les instruments les plus aptes à simuler, imiter, créer des univers et des modèles ayant la puissance de toutes les capacités du virtuel. Ces potentialités amènent l’opportunité pour les artistes de la réflexion sur le vivant, de son imitation, de sa simulation et plus encore du démontage de ses processus mécaniques et comportementaux. De plus, la possibilité d’interaction avec les créatures ainsi formées amène une réflexion d’un autre ordre, sorte de rencontre entre deux espèces entre lesquelles la communication ne va pas forcément de soi.
Dans l’exposition Natural / Digital, proposée par numeriscausa du 26 mai au 3 juillet 2005 à la Biche de Bere Gallery à Paris, les artistes qui présentent le résultat de leur confrontation aux deux modèles opposés du naturel et de l’artificiel le font avec des moyens, des intentions et des formes diverses. Tous utilisent le numérique, certains dans ces aspects les plus simples (projections stables sans interaction), d’autres avec ses outils les plus complexes (Vie Artificielle, Internet, etc.). Mais qu’ils utilisent la capacité de simulation du numérique pour créer un monde végétal virtuel ou qu’ils fabriquent une nouvelle créature, vivant par ses capacités technologiques, ils interrogent la capacité de la technologie à influer profondément sur notre perception du vivant par ses possibilités à l’imiter, dans une compréhension profonde de ses processus internes et ses rapports avec son environnement (le travail sur l’aspect sonore est à cet égard notable).
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Des Fleurs, nous dit Reynald Drouhin. Et des portraits aussi. Cette fois-ci la projection est faite au sol, un tapis de fleur, se modifiant et devenant visages sous les pas des visiteurs. Cette oeuvre affiche une interactivité simple (meilleure garantie d’une grande efficacité de réception) pour un processus et un propos complexe. L’outil de base est ici Internet : à partir d’un mot-clef, « fleur », un système génératif couplé avec une base de données contenant des sons, des mots et des images, forme ces portraits (ceux des membres du collectif Incident) à partir d’images de fleurs. Des Arcimboldo ultra contemporains avec ce que cela suppose de fantastique et de monstrueux aussi. Fascination pour la mutation permanente, une nature dans tous ces processus créatifs ou dégénératifs, l’impermanence du monde et sa capacité de transformation. Les sons associés à l’installation mêlent eux aussi le monde des humains (portraiturés par des visages et par des mots lancés aléatoirement) au monde des fleurs (les figures sont des mosaïques formées d’images de fleurs) et des insectes (dont on entend le bruissement).
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Des plantes donc, des fleurs, réflexions du monde actuel et des technologies qui le refaçonnent, exemples de nouveaux hybrides qui apparaissent, reposant sur les nouvelles technologies, à la fois opérations mentales et conceptuelles, et confrontations tangibles à ces nouveaux matériaux et outils. Une autre forme de réappropriation de la nature aussi, qui passe par sa connaissance, son observation, et qui remplace sa manipulation directe par la création de doubles qui ne sont pas seulement des copies ou des simulations mais des créatures à part entière. Mais aussi, méditation des artistes, utilisant toutes les méthodes du savoir-faire technologique appliqué à l’art au ludique voire au décoratif, sur d’autres modes de vies, d’autres rapports à l’espace et au temps, avec pour intermédiaire les machines et concepts des technosciences.