Exposition du 28 septembre au 29 octobre 2000, Curator Sylvie Parent. Projet Revenances

La mort. La fin. Et après ?
La mort est partout, survient à tout moment et n’épargne personne. Voilà un constat banal, irréfutable, mais aussi une vérité implacable et terrifiante qui suscite inévitablement une réaction de la part de chaque individu, une interrogation sur l’«après-mort», sur la survie. Or si nul ne peut témoigner sur cet «après», l’esprit humain, dans toutes les civilisations et depuis toujours, a cherché à le concevoir [1]. Les croyances, les mythes et les représentations le concernant forment une partie importante et fascinante de l’héritage symbolique des sociétés. Des représentations du monde souterrain dans les mythes antiques jusqu’aux images de l’enfer dans la peinture chrétienne, en passant par les histoires de fantômes dans la culture populaire – pour ne citer que quelques exemples se rapportant à notre civilisation –, les conceptions de l’autre monde sont des constructions mentales qui répondent à l’angoisse de la mort par le moyen de la symbolisation.
La mort et son au-delà ont-ils leur place sur le Web? Force est de le constater, si l’on considère la multiplication de sites Web funéraires, de cimetières virtuels et d’hommages aux défunts de toutes sortes. Le grand réservoir du Web donne l’illusion à ceux qui y projettent leurs disparus de prolonger leur présence au sein d’un espace infini, et de leur assurer ainsi une forme d’immortalité…[2]
Non seulement le Web est-il devenu un lieu de culte des morts, mais, en tant que moyen de création, il est en mesure, lui aussi, d’accueillir cette activité de symbolisation de la mort et de son au-delà. Si la mort, devenue le «dernier tabou» [3], est absente de la vie dans nos sociétés, si les rituels et les cultes ont été réduits au minimum, le poids du déni s’exerce fortement sur la conscience et il faut bien trouver une porte de sortie, quelque moyen pour s’en délivrer. C’est sans doute pourquoi l’art et la culture sont envahis à un tel point par la mort et l’idée de survie. Il n’y a qu’à ouvrir n’importe quel journal, se rendre au cinéma ou au musée pour s’en apercevoir, «… toute société se voudrait immortelle et ce qu’on appelle culture n’est rien d’autre qu’un ensemble organisé de croyances et de rites, afin de mieux lutter contre le pouvoir dissolvant de la mort individuelle et collective [4]».
Il se trouve que le Web est aussi perçu comme un espace et que le caractère ambigu et insaisissable du cyberespace a amené certains artistes à établir un parallèle avec l’«autre monde», l’ineffable espace de la mort [5]. L’expérience du Web se caractérise par une rupture avec le monde immédiat (mort) et un engagement dans un autre lieu (un non-lieu?), où l’individu continue d’exister (survie), de se manifester sans son corps [6]. Qui plus est, cet espace mental est aussi un espace psychologique à même d’interpeller l’inconscient et les questionnements les plus intimes et universels de l’être qui s’y déroulent[7].
L’exposition réunit dix œuvres réalisées ces deux dernières années qui abordent, par des esthétiques et des angles de réflexion très variés, cette question de la mort et de l’au-delà [8]. Ces œuvres n’offrent pas de réponses ou d’explications à la question hautement spéculative de l’au-delà. Elles formulent à leur tour des questions et s’intéressent en particulier au rapport à la mort au moment où la Technique promet l’amortalité et l’immortalité [9]. C’est donc par un étrange retour des choses, au sein du territoire technologique, qu’elles apportent une vision critique sur celui-ci dans son aptitude à accueillir et à susciter de telles explorations.

Sylvie Parent
 

[1] Dès le paléolithique ancien, le plus lointain ancêtre de l’homme pratiquait la sépulture en prévoyant une vie ultérieure à ses morts. «Jusqu’à l’âge du progrès scientifique, les hommes ont admis une continuation après la mort. On la constate dès les premières sépultures à offrandes du moustérien, et encore aujourd’hui, en pleine période scepticisme scientifique, apparaissent des modes affaiblis de continuité, ou des refus entêtés de l’anéantissement immédiat. Les idées de continuation constituent un fond commun à toutes les religions anciennes et au christianisme.» Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, p. 99.

[2] «Il est aujourd’hui admis que notre XXe siècle (et le XXIe?) vit à l’heure du « tabou de la mort » qui aurait remplacé l’ancien tabou sur le sexe, pour définir une nouvelle catégorie de l’obscène, de ce dont on ne parle pas.» Michel Vovelle, L’heure du grand passage. chronique de la mort, Paris, Gallimard, 1993, p. 103.

[3] Exemples : O Paradis, World Wide Virtual Cemetery, World Gardens, Virtual Pet Cemetery

[4] Louis-Vincent Thomas, Mort et pouvoir, Paris, Payot, 1978, p. 10.

[5] «On peut observer déjà dans les «autoroutes de l’information», dans la télévision interactive et le multimédia, dans les dispositifs de réalité virtuelle, dans les jeux électroniques et dans toute la panoplie scintillante de l’imagerie numérique, l’instauration de nouveaux rituels. Ils sont animés par la croyance, c’est-à-dire l’acceptation, rarement avouée, travaillant toujours dans l’insu et le non-dit, de cet autre au-delà du monde, purifié par la rationalité technoscientifique.» Edmond Couchot, La technologie dans l’art, Paris, Ed. Jacqueline Chambon, 1998, p. 248.

[6] La dissociation corps/esprit est doublement vécue. «One of the favorite playgrounds for mind/body has always been art. The experience of visual, literary, and musical forms allows a projection of consciousness into something else, an out-of-body experience that becomes especially heightened with figurative and narrative forms. (…) Cyberspace projection differs in important ways. Also, the metaphor of cyberspace emphasizes the immersive quality of the experience: even more that with reading or with cinema spectorship, one gets inside.» Cameron Bailey, «Virtual Skin», Immerse in Technology, Art and Virtual Environments, The MIT Press, 1996, p. 34.

[7] Certains psychologues du cyberespace ont rapproché l’expérience de l’internaute de celle d’un état altéré de la conscience, comme le rêve, par exemple. Voir John Suler, Ph.D., « Cyberspace as Psychological Space », Psychology of Cyberspace, 

[8] Dans le cadre de La Biennale, mon choix s’est porté sur des œuvres récentes, créées ces deux dernières années. Toutefois, le thème de cette exposition s’inspire de nombreuses œuvres réalisées dans le passé.

[9] Face à la mort, notre société se voit offrir par la médecine de tenter de vaincre celle-ci – longévité accrue, sursis toujours reporté, prouesses pharmaceutiques, acharnement thérapeutique –, alors que les technologies véhiculent le rêve de l’immortalité – survie par le clonage, téléchargement de l’information contenue dans notre cerveau dans la machine, etc.

http://www.ciac.ca/biennale2000/fr/information.html

http://www.ciac.ca/biennale2000/fr/electro-presentation.html


http://incident.net/works/revenances/