Artiste par Annick Rivoire / Libération

http://www.liberation.fr/cahier-special/2002/03/22/artiste_397930

Artiste

Par Annick RIVOIRE — 22 mars 2002 à 22:41

Certains sont nés avec le Web, d’autres s’y révèlent. Ils sont graphistes, créateurs de sites ou d’oeuvres hors ligne…

La création sur l’Internet se porte plutôt bien, n’en déplaise aux Cassandres qui voulaient l’enterrer avec la chute de la nouvelle économie. Le ralentissement s’est effectivement répercuté sur les plus pharaoniques des projets, les WebTV ont fait un flop retentissant, les producteurs de contenu commencent tout juste à s’intéresser au support Internet, les institutions peinent à prendre la mesure des besoins…

Mais le succès de la French touch ne s’est pas démenti sur le front du Flash, qui sort aujourd’hui du seul cadre de l’écran d’ordinateur : clips, séries télé, films d’animation, etc., se nourrissent de l’esthétique cartoon et des couleurs acidulées du langage de création pour le Web. Les Team Chman ont même réussi à exporter leurs compétitions de webdesign façon jam-sessions festives dans quelques-uns des festivals les plus en vue, à Berlin ou à Singapour.

Le succès international d’un Alain Escalle est un autre signe encourageant : nourri aux images de synthèse, ce réalisateur a tourné cinq jours puis passé plus d’un an sur son ordinateur pour proposer un film qui emporte l’adhésion et les prix internationaux.

La création numérique croise usages et pratiques, touche au cinéma, à la musique, aux arts plastiques, au graphisme et même au design, où les outils informatiques ont bouleversé les modes de fabrication. L’idée d’un design à la carte fait son chemin. De cette création protéiforme émergent aujourd’hui des tendances. Ce sont autant de nouvelles pratiques, où le Net-artiste n’a pas grand-chose à voir avec l’artisan d’une communauté musicale et encore moins avec un cinéaste numérique.

Les différences passent d’abord par le rapport de l’artiste au réseau : il y a ceux qui ne feraient rien sans le Net, les webdesigners, les Net-artistes, les hacktivistes ; et ceux dont les pratiques ont intégré les nouvelles technologies, les cinéastes, les plasticiens, les gens de scène, les musiciens, les poètes et les romanciers.

Les graphistes du Web se concentrent sur l’esthétique de l’interface, ce rapport entre l’homme et la machine, qu’on trouve schématiquement simplifié sur les sites institutionnels et graphiquement magnifié sur les sites culturels.

Les webdesigners vont un peu plus loin dans l’écriture d’une nouvelle grammaire qui mélange la programmation, le contenu et le graphisme pur.

Les Net-artistes puisent dans le fonctionnement du grand réseau leur matière première, questionnant les notions d’interactivité, de participation et de communauté, détournant pour notre plus grand plaisir les outils et les propos techno. Tous inventent une nouvelle géographie de la création. Où la France est cependant loin derrière l’Allemagne, les Etats-Unis, le Canada ou même l’Espagne. Des pays plus ouverts aux nouvelles pratiques.

Katya Bonnenfant

26 ans. Webdesigner

Immenses chaussettes de collégienne, cheveux piqués de poupées à la japonaise, tenue rose de préférence, Katya Bonnenfant attire l’oeil. Est-ce sa passion pour le Japon ? Elle a en tout cas été repérée sur le Web pour son travail de conception du site du palais de Tokyo, ouvert bien avant l’espace de création contemporaine parisien en dur. Elle récidive avec le Web Saison numérique, à l’automne, censé répertorier les événements de la culture électronique en France. L’emballage est beau, mais la coquille vide… Aujourd’hui, elle partage son temps entre le palais de Tokyo (l’unité pédagogique, la Tokyo TV, où elle dit chanter des « chansons idiotes ») et des animations plus perso, qu’on verra bientôt sur le site de la maison de production Première Heure.

www.saison-numerique.org

www.palaisdetokyo.com

www.premiereheure.ph

Claude Closky

37 ans. Artiste

Artiste prolifique, il n’a pas que l’Internet comme terrain d’action, puisqu’il a été exposé depuis le début de l’année à Francfort, Bristol, Genève, Houston, Hambourg ou Le Fresnoy. Ses réalisations, en ou hors ligne, portent sa marque, qu’il agisse comme graphiste d’exception pour un musée d’art contemporain (le Mudam au Luxembourg ou la partie Netart de Beaubourg, à Paris) ou qu’il propose des sites «express», interrogeant le flux d’infos (Worldnews.online, l’actualité comme un prompteur), l’arrivée de l’euro (Converter, un tableau énigmatique de chiffres) ou l’Internet (Television, une mire scintillante). Avec lui, l’absurde n’est jamais loin, puisqu’il nous nargue en reproduisant quelques-uns de nos tics. Sur le Net, ses interventions empruntent à l’interactivité (des fenêtres qui s’ouvrent, des questionnaires à remplir) pour mieux «questionner son utilisation et les contenus que l’on y trouve».

http://closky.online.fr

http://worldnews.online.fr/

www.mudam.lu

www.sittes.net

Gregory Chatonsky

30 ans. Artiste

Défricheur d’interfaces, usant de sa formation de philosophe pour questionner notre rapport à la machine, à l’intime et au souvenir et pour faire de «l’Internet d’auteur comme on parle de cinéma d’auteur», Grégory Chatonsky a construit une oeuvre plastique forte, noire et cohérente, en et hors ligne, autour de la déportation (un CD-Rom avec la Fondation pour la mémoire de la déportation, en 1998), du métro (pour son centenaire, en 2000), de la mort (Revenances, avec Reynald Drouhin, en 2000). «Casser les habitudes d’immédiateté de l’internaute» en retrouvant l’émotion est le leitmotiv d’un travail qui le mènera en 2002 à l’abbaye de Fontevraud (Dislocat.io-n, en ligne en mai) puis à Montréal, pour une résidence de six mois autour d’une fiction interactive (Translat.io-n).

www.sous-terre.net

www.incident.net

www.io-n.net

www.dislocat.io-n.net (en mai)

www.translat.io-n.net (fin 2002)

Reynald Drouhin

33 ans.

Net-artiste et enseignant

Obsédé par l’Internet, sa culture et ses dérives, Reynald Drouhin construit des oeuvres basées sur l’interactivité au sens le plus absolu : sans présence de l’internaute, l’oeuvre s’efface, n’existe pas ou plus. Des Frags, une « interprétation des marronniers du Net », est un moteur de recherche et de recomposition de photos alimenté par les envois des internautes, où les images ainsi re-données à voir réactivent une « mémoire morte ». Le Net-artiste est aussi à l’origine de la plate-forme collective Incident, avec Grégory Chatonsky, l’un des sites les plus dynamiques du Web artistique francophone. Dernière idée de l’enseignant aux beaux-arts de Rennes : représenter en temps réel les recherches effectuées sur le réseau, pour donner à voir un tableau-paysage, Timescape.

www.incident.net

Alain Escalle

35 ans. Cinéaste numérique

Avec le Conte du monde flottant, un court-métrage de 24 mn qui a remporté moult prix internationaux (Locarno, Linz, Montréal, Imagina), Alain Escalle bouscule le petit monde du numérique. Cette fiction fantasmatique et lyrique, métaphore d’un Japon marqué par Hiroshima, brasse les références et les techniques. Tombé petit dans les nouvelles technologies, Alain Escalle réalise pubs et habillages télé, tourne des vidéos d’artistes, gère tout seul son site «ludique». Et prépare Dripping Ground Zero, installation artistique pour Tokyo.

http://membres.lycos.fr/alainescalle

Monsieur Faltazi

1 an. Designer 100 {f9678f28b8232da6cac2fa684503ea960f605c88c27041e6eb2a39356cf4dbc0} virtuel

Deux designers installés à Nantes, Laurent Lebot et Victor Massip, ont inventé Monsieur Faltazi («imagination» en breton) pour mettre au point la première usine de conception et réalisation à la carte d’objets, grâce à une imprimante 3D. Le prototypage rapide coûte encore très cher, mais les deux lascars se battent avec humour, en proposant dans leur site-magasin des objets farfelus, telle la Fourcuichette, «inventée pour les fébriles de vernissages afin de leur faciliter l’accès au buffet».

www.monsieurfaltazi.com

Sebastien Kochman

29 ans. Webdesigner

Grâce aux webdesigners lillois de Team Chman, menés par Sébastien Kochman, le Flash est devenu la griffe d’une génération, d’abord avec Banja, leur reggaeman fétiche, héros d’un jeu interactif, puis dans des clips et des séries. La deuxième saison de Banja débarque en France, un pilote du dessin animé est terminé, un jeu vidéo et «un nouveau jeu de rôles pour console» sont en préparation.

www.chman.com

www.banja.com

www.vectorlounge.com

Phil Ox

39 ans. Président des Web Producteurs

Réalisateur de programmes courts pour le Web et à la tête des Web Producteurs, association de 45 membres, Phil Ox défend les intérêts des auteurs de «contenus créatifs» . Après un court âge d’or où portails et fournisseurs d’accès au réseau passaient commande à ces artistes du Flash et de la vidéo numérique, l’heure est aux vaches maigres. «Raison de plus», souligne ce créateur de feuilletons interactifs pour la défunte webtv nouvo.com, «pour faire reconnaître nos droits et créer un vrai statut de la profession.» Tout en travaillant à une série pour le site de la BBC sur les aventures d’un prêtre au Vatican intitulée Pope man, Phil Ox se bat pour que les principales portes d’entrée du Web, comme Wanadoo ou Yahoo, versent leur obole à un fonds d’aide à la création numérique. «Ils mettent en avant nos sites pour animer leurs pages», explique Phil Ox, «ils doivent en échange contribuer à la création en ligne.»

www.leswebproducteurs.com

Guillaume Sorge

27 ans. Cofondateur de d-i-r-t-y.com

Une communauté, une boîte à outils pour échanger les dernières tendances musicales, c’est d-i-r-t-y.com, le site «100 {f9678f28b8232da6cac2fa684503ea960f605c88c27041e6eb2a39356cf4dbc0} culture digitale» du Web, selon son mentor Guillaume Sorge. Cet ex-journaliste chez Canal + a quitté le paquebot Vivendi pour naviguer dans des eaux pures, indépendantes et gratuites (MP3, cartes blanches et interviews à gogo). A la différence des centaines de sites de labels qui ont fleuri sans audience réelle, d-i-r-t-y fédère la génération digitale, sur le Net et dans la vraie vie : Guillaume Sorge coorganise les soirées Solidwater au Batofar et prépare avec ses acolytes la première «D*I*R*T*Y party», le 4 mai au centre Main-d’oeuvres de Saint-Ouen: l’entrée y sera gratuite et les invités prestigieux (Bertrand Burgalat, Ariel Wizman, Readymade), comme sur le site.

www.d-i-r-t-y.com

Annick RIVOIRE

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